- EMPREINTE (psychologie)
- EMPREINTE (psychologie)Le terme d’«empreinte» ou d’«imprégnation» désigne un processus d’attachement social qui se déroule de façon rapide et intervient précocement dans le développement de l’individu. En psychologie comparée, on distingue deux formes d’empreintes. L’oiseau nidifuge, une fois éclos, tend à suivre son parent. Toutefois, il ne reconnaît pas instinctivement les membres de l’espèce à laquelle il appartient, mais suit le premier objet en mouvement qu’il rencontre, que ce soit la mère, un autre animal, un être humain, voire une lampe clignotante. Cet objet laisse une empreinte (Prägung ) dans l’animal, qui va établir des liens d’attachement personnel, de «fixation» à cet objet, semblables à ceux qu’il développerait à l’égard d’une mère naturelle: c’est le phénomène de l’imprégnation maternelle . D’autre part, certains oiseaux, comme les canards, élevés avec une espèce différente de la leur, s’accouplent, devenus adultes, avec des membres de cette espèce plutôt qu’avec des congénères. Le premier objet ayant déclenché un comportement social au cours du développement parvient ainsi à déterminer les comportements sexuels survenant ultérieurement. C’est l’imprégnation sexuelle .Le processus des réactions intervenant dans ces deux situations différerait d’autres modes d’acquisition par les caractéristiques suivantes: l’imprégnation ne serait possible qu’au cours d’une période précoce et limitée du développement individuel; elle implique l’apprentissage de la reconnaissance de l’espèce plutôt que celle d’un individu particulier; la fixation à l’objet se produirait alors que la réaction à celui-ci n’est pas encore formée; enfin, l’empreinte ne donne pas lieu à l’oubli: elle est irréversible (K. Lorenz).Le terme d’imprégnation désigne également l’apprentissage précoce d’un modèle de comportements qui ne peuvent pas encore être accomplis au moment où se déroule cette acquisition. C’est le cas du chant de nombreuses espèces d’oiseaux. Ainsi, le pinson élevé dans l’isolement va chanter le chant caractéristique de l’espèce à laquelle il appartient, mais si, dans les premiers temps qui suivent l’éclosion et au cours desquels il n’est pas encore capable de chanter, on l’élève avec des mouettes, il reproduira à l’âge adulte le chant des mouettes et non celui des pinsons.L’attachement à l’«objet maternel»Les conditions de l’empreinte maternelleLa connaissance de la mère ou de l’«objet maternel» n’étant pas innée, mais acquise à la suite d’impressions reçues peu après l’éclosion, il s’agit de déterminer, d’une part, la durée d’exposition suffisante pour entraîner la fixation des réactions de l’oiseau nidifuge à cet objet, d’autre part, les caractères optiques et acoustiques que doit posséder un objet pour être «vécu» comme mère par l’animal.E. H. Hess a construit un dispositif sur le modèle duquel de nombreuses expériences ont été réalisées dans divers pays; il est constitué par un couloir circulaire dans lequel un leurre de canard, contenant un haut-parleur émettant le cri d’une cane, est mû à l’aide d’un bras mobile relié à un moteur. Un caneton, âgé de moins de deux jours, est placé derrière le leurre qui est alors mis en mouvement. Une fois que le caneton a suivi l’attrape, on arrête le mouvement du leurre et l’animal est séparé de ce dernier. Une dizaine de jours plus tard, le caneton est de nouveau déposé dans l’enceinte circulaire et l’on observe s’il suit ou non le leurre en mouvement. On a ainsi établi que le temps minimal d’exposition à l’attrape pour que le caneton s’y attache et la suive est d’une minute. La liaison à la mère établie ainsi artificiellement peut durer de huit à dix semaines, ce qui correspond à la durée de l’attachement produit dans des conditions naturelles (avec l’âge, les jeunes sont en effet de moins en moins en contact avec leur mère et finissent par ne plus être davantage avec elle qu’avec les autres congénères vivant au même endroit). Dans certains cas exceptionnels, des canards sauvages, âgés de trente-deux semaines et en pleine maturité sexuelle, suivent encore l’attrape: cette dernière est devenue un partenaire social, voire sexuel.Quant aux caractères de l’objet déclenchant la réaction de poursuite, l’expérience montre que les objets ressemblant au parent oiseau ne sont pas meilleurs déclencheurs que des objets très simples en mouvement: une stimulation visuelle intermittente (stroboscopique) suffit; celle-ci acquiert une efficacité accrue lorsqu’elle est accompagnée d’une stimulation acoustique rythmée de basse fréquence. Il semble même que des oiseaux puissent être «imprégnés» à un objet stationnaire pourvu qu’en l’absence de toute autre stimulation plus attrayante, ils restent un temps suffisant en contact avec celui-ci (P. Bateson).L’intensité de l’attachement à l’objet est en grande partie liée à l’activité déployée par l’animal qui se meut vers la source de stimulation. Dans une expérience avec le dispositif de Hess, on expose, pour des durées identiques, différents canetons à des leurres se mouvant à des vitesses variables en sorte que varie la distance parcourue par le leurre et par chacun des canetons; ou bien on oblige certains canetons à sauter par-dessus des barrières disposées dans le couloir circulaire conduisant à l’objet tandis que d’autres canetons ont directement accès à celui-ci. Dans les deux cas, on place ensuite chaque animal dans une situation de choix entre le leurre qu’il a suivi et qui est à présent stationnaire, et un autre leurre, de couleur différente, soit immobile, soit en mouvement. Les canetons qui ont dépensé le plus d’énergie dans la poursuite de l’objet choisissent aussi plus fréquemment ce dernier dans la situation de choix.La période sensibleL’empreinte s’effectue au cours d’une période sensible de l’ontogenèse: l’animal doit avoir atteint un certain stade de développement pour être à même d’apprendre les caractéristiques de l’objet d’imprégnation; de plus, l’attachement à cet objet se produit plus facilement à certains âges qu’à d’autres. Pour déterminer les limites de cette période, on expose des animaux d’âges différents au même objet et on mesure ultérieurement dans une situation de choix leur préférence pour cet objet. Pour les canetons sauvages, la période optimale d’imprégnation couvre les vingt-quatre premières heures qui suivent l’éclosion.Pour rendre compte du terme de cette période sensible, plusieurs théories ont été formulées. D’une part, les réactions d’approche de l’objet d’empreinte se trouveraient inhibées par l’accroissement endogène de réponses de peur. On considère, en étudiant le développement de ces dernières, l’objet que suit l’animal – et qui constitue une «figure» –, par rapport au «fond» qu’est l’environnement dans lequel cet objet se déplace. Alors que la peur de la figure tend à inhiber les mouvements d’approche et de poursuite de l’objet, la peur du fond tend au contraire à favoriser ces mouvements. Toutefois, même la peur d’une figure n’empêche pas toujours l’imprégnation: fréquemment, des oisillons qui commencent par manifester des réactions de fuite devant un objet finissent par s’y attacher ensuite. D’autre part, l’oiseau nouvellement éclos se trouverait dans un état de basse anxiété. Cet état serait associé par conditionnement avec l’objet d’empreinte. Le terme de la période critique serait dû à la cessation de cet état. En fait, un poussin chez lequel on provoque un état d’anxiété en le plaçant dans une enceinte où il a froid, peut être «imprégné» à un objet dans cette enceinte. Il se peut qu’au cours du développement un accroissement de la peur s’accompagne d’une décroissance corrélative de la motivation propre à la réaction de poursuite de l’objet d’imprégnation.L’empreinte sexuelleLe choix du partenaireDans certaines conditions, l’imprégnation peut avoir des effets à long terme sur le choix du partenaire sexuel. Élevons dès l’éclosion un col-vert mâle avec un membre d’une espèce étrangère à la sienne, par exemple, un canard plongeur comme la nette rousse. Après un certain temps de vie commune, laissons-les libres sur un lac où vivent de nombreuses espèces d’Anatidés. Dans la plupart des cas (mais non toujours), on verra le col-vert s’accoupler dans les semaines qui suivent avec une nette rousse plutôt qu’avec un congénère et choisir de préférence un partenaire étranger à son espèce. Vis-à-vis de ce partenaire, il se comporte en tout point comme un col-vert qui aurait été élevé normalement avec des congénères; en particulier, il dirige vers lui ses mouvements de parade nuptiale, mouvements innés et spécifiques, et donc différents de ceux de l’espèce à laquelle appartient l’oiseau auquel il s’est accouplé. À la longue, ce dernier répondra à ces mouvements en accomplissant à son tour des mouvements propres à son espèce, si bien qu’il s’établira entre les partenaires un système d’interactions entre mouvements instinctifs spécifiques équivalant à un véritable «langage» interspécifique.Élevons un autre col-vert mâle, cette fois non avec une espèce étrangère, mais avec un autre mâle de la même espèce, et, après quelques semaines, laissons-leur la liberté de s’accoupler sur un lac. On verra alors ces animaux tenter de s’accoupler entre eux ou avec d’autres mâles de la même espèce et former ainsi des couples «homosexuels» dans lesquels chaque partenaire se comporte vis-à-vis de l’autre comme le mâle d’un couple hétérosexuel vis-à-vis de sa femelle.Lorsque, par contre, un col-vert femelle est élevé dans des conditions analogues aux précédentes (soit avec une espèce différente, soit avec une femelle de la même espèce), ce n’est qu’exceptionnellement qu’on verra ensuite l’animal s’accoupler avec un individu autre qu’un col-vert mâle. Ce résultat illustre à la fois la signification adaptative de l’imprégnation sexuelle et l’interférence existant entre les mécanismes innés de la reconnaissance du congénère et les influences subies durant l’ontogenèse. Les femelles des espèces de canards à parure nuptiale possèdent un plumage terne, très semblable d’espèce à espèce; elles n’auraient donc pas besoin d’une imprégnation des réactions sexuelles, car elles posséderaient une connaissance innée de leur espèce; les mâles au plumage brillamment coloré et différent d’espèce à espèce auraient, en revanche, à apprendre dans l’enfance les caractères de leur espèce: de la sorte, les accouplements interspécifiques entraînant l’hybridation seraient évités dans les conditions de vie naturelles.Ces observations sur les canards comme toutes celles qui portent sur des cas d’imprégnation sexuelle sont cependant délicates à interpréter du fait même de la complexité des mécanismes d’accouplement chez l’animal. Ainsi, le premier lien sexuel chez les canards s’établit entre une femelle et le mâle qui se montre le premier agressif vis-à-vis de ses rivaux ou qui est le premier à parader en faveur de la femelle considérée. Agressivité et parade jouent donc un rôle déterminant dans la formation des couples, indépendamment des expériences infantiles.Comparaison entre les deux formes d’empreinteLes caractères du processus d’imprégnation se retrouvent à des degrés divers dans les deux formes que revêt celui-ci. La période sensible est plus spécifiée pour l’empreinte maternelle que pour l’imprégnation sexuelle. Dans le premier cas elle ne s’étend guère au-delà du premier jour qui suit l’éclosion; en matière de fixation des réactions sexuelles, on peut en revanche imprégner un animal à une espèce étrangère après l’avoir élevé dans l’isolement durant plusieurs semaines avant de le placer au contact de membres de cette espèce.L’apprentissage généralisateur est avant tout caractéristique de l’empreinte sexuelle puisque, à l’exception de l’imprégnation «homosexuelle», la liaison s’établit de préférence entre des individus qui n’ont pas été élevés ensemble. Dans le cas de l’empreinte maternelle, la liaison se fixe très rapidement sur un individu déterminé et non sur une classe d’individus.Le fait de la fixation à l’objet avant l’établissement même de la réaction ne paraît avoir été clairement prouvé ni dans le cas de l’empreinte maternelle ni dans celui de l’empreinte sexuelle. Dans le premier cas, les jeunes entrent en contact avec la mère dès leur éclosion; dans le second, il semble que la fixation des réactions sexuelles (notamment les mouvements de parade nuptiale) se produise dès leur première apparition; en outre, l’empreinte sexuelle peut se produire à un moment du développement où toutes les réactions sexuelles sont complètement formées.L’irréversibilité est généralement conçue comme l’absence d’oubli. Formulée positivement, elle désigne une préférence pour l’objet d’imprégnation, qui, dans une situation de choix, l’emporte sur tout autre. Le caractère d’irréversibilité de l’acquisition est plus typique de l’empreinte maternelle; dans le cas de l’empreinte sexuelle, l’apprentissage ultérieur permet, en effet, de surmonter les effets de l’empreinte durant l’enfance.Notions connexesEmpreinte et apprentissageEn tant que modification du comportement par l’expérience, l’imprégnation ressortit à la définition la plus générale de l’apprentissage. On ne peut donc établir de distinction tranchée entre l’empreinte et d’autres formes d’acquisition. L’empreinte ne serait-elle alors qu’une forme de conditionnement, la formation d’une association temporelle entre excitant et réponse par suite d’un renforcement? Si l’on admet que la liaison entre le jeune et sa mère peut être appelée association, il n’en reste pas moins que l’empreinte débute par une approche inconditionnée de la source d’excitation. En outre, à la différence de ce qui se passe dans le conditionnement, le renforcement de la réponse de poursuite de la mère n’est pas extérieur au couple stimulus-réponse: la mère déclenche initialement la réponse de poursuite chez le jeune et devient un «excitant» de plus en plus attirant à mesure que le jeune est exposé à son influence; cet excitant sert donc à la fois au déclenchement et au renforcement de la réponse.L’imprégnation se produit au début du développement. Il se peut que des modifications neuro-physiologiques se produisent dans l’individu au cours de la croissance et affectent par là le mécanisme même de l’apprentissage. Ainsi, en général, si les jeunes sont autant que les adultes capables de répondre aux excitations du milieu, ils éprouvent davantage de difficulté à exercer un contrôle sur leurs réponses à ces excitations. En tant que forme précoce d’apprentissage, l’empreinte serait donc différente par nature des apprentissages survenant ultérieurement dans la vie de l’individu.L’empreinte chez l’hommeOn a cherché à se fonder sur l’empreinte pour rendre compte de la formation de la personnalité et de la constitution des rôles sexuels chez l’être humain. Ainsi, on peut postuler, avec Gray, que le lien entre le jeune et l’espèce à laquelle il appartient s’établit selon le même processus dans toutes les espèces où ce lien possède une valeur de survie. Pour l’être humain incapable de marcher aussitôt après la naissance, l’équivalent moteur de la réponse de poursuite de la mère chez l’oiseau nidifuge serait le sourire. Le sourire apparaît d’abord spontanément chez le nourrisson au moment où il va s’endormir, puis il devient sélectif, l’enfant souriant à une configuration spécifique constituée par un visage en mouvement; enfin, vers six mois, l’enfant ne sourit plus indistinctement, mais il distingue sa mère des étrangers, envers qui il manifeste des réactions d’anxiété. L’équivalence entre le sourire et la réponse de poursuite de la mère reposerait sur le fait que les deux types de conduite se développent à un âge où l’individu apprend qui est son parent et avant que ne débutent les réponses de peur à l’égard des étrangers. Cette équivalence reste cependant hypothétique, d’autant que, même chez l’animal, ce n’est pas l’occurrence des réponses de peur qui fixe le terme de la période sensible d’imprégnation.Pour la constitution des rôles sexuels, on cite le cas des hermaphrodites à qui on peut, par une opération chirurgicale, assigner un sexe de façon à mieux faire concorder leurs caractères sexuels morphologiques et leur identité sexuelle. Cette opération ne peut se faire chez l’enfant au-delà de la quatrième année sans entraîner de troubles profonds de la personnalité. Il y aurait donc un âge critique déterminant l’identité sexuelle. Toutefois, on peut difficilement comparer ce processus à celui de l’empreinte, dans laquelle c’est l’exposition de l’individu à un objet défini qui joue un rôle déterminant.Enfin, l’empreinte a été invoquée à propos de conduites sexuelles pathologiques comme le fétichisme, perversion dans laquelle le désir érotique se fixe sur certains objets ou diverses parties du corps. En admettant que l’origine de cette déviation se situe dans des expériences avec des objets ou des personnes qui auraient particulièrement impressionné l’individu au cours de son enfance, on ne peut retrouver dans la formation de cette perversion les caractères originels du processus d’imprégnation. Il paraît donc prématuré d’étendre sans réserves le concept d’empreinte à la psychologie humaine.
Encyclopédie Universelle. 2012.